Le ciel était bleu, quelques nuages épars, le froid était là.
La nuit fut courte, désormais nous attendions un effroyable destin devant nous. Cet amour je l’avais toujours dans le cœur. Avec moi mon ami, une femme belle, brune, les yeux verts. Je ne connaissais alors que trop peu le son de sa voix. Comme devant tous ces êtres beaux j’avais peur.
Partis sans vraiment s’en rendre compte vers la mort nous parlâmes. Pas d’ennui, pas d’amour malheureusement mais peut être cette petite lueur d’espoir. Lueur crachant de petites flammes discrètes rouge vif. Le paysage autour de nous sans intérêt. Des arbres grands, verts. De la neige blanche ; un peu trop faible. Une heure de notre temps passa, je ne vis pas tout ça, je ne voyais plus mon cœur.
Arrivé au banc de l’histoire avec elle je sortis une cigarette, nous fumâmes. Autour, une foule de gens différents mais se ressemblant pourtant je ne sais pourquoi. Au loin une série de bâtisses. Rien alors ne présageait ne serait-ce qu’une once de destruction. En briques grises elles étaient là tranquilles ne se souciant déjà guère plus des hommes et de leur histoire.
Elle, je la regardais, la désirais.
Ressurgit comme un mauvais rêve cette autre qui si longtemps me hanta. Elle aussi était belle, elle me souriait, m’appelait, je n’en voulais pas…
Le vent soufflait, se pressait contre nos corps. Tous ensembles nous avançâmes. Regroupés dans une grande pièce d’un non lieu pathétique nous reçûmes appareils aux fonctions étranges, exotiques.
Parés pour le non-retour, chacun se tut une douleur dans l’âme. A la manière d’une œuvre théâtrale tous prirent un rôle. Lui avait les traits tirés, l’autre s’efforçait d’oublier. Mais elle plantée là était encore plus belle, magnifique. La tristesse donnait à ce visage quelque chose, une pureté que jamais je ne vis. Sa figure avait une petite moue renfrognée, son corps droit une noble posture, ses yeux perdus dans le vague. Côte à côte nous marchâmes. En y réfléchissant je ne voyais pas grand chose, une seule envie alors, un seul rêve lui prendre la main, la serrer, m’y réfugier, la baiser. Pris aux pièges entre Mort et Souffrances les numéros défilaient, dans mon esprit ils ne faisaient que rebondir. De pâles couleurs dans le corps et l’âme, seule cette main semblait porter la vie. Ayant froid elle mit un bonnet sur sa tête. Il plaquait certaines mèches de ses cheveux contre son front. Un peu de côté certains passaient devant ses yeux. Pourquoi ne pas l’avoir embrassée ? Peut être ce lieu si exigu, si puant m’en empêchait-il.
Nous rentrâmes dans ces tristes bâtiments. Un sentiment indescriptible, rappelant aux hommes la faiblesse des mots m’empoigna. J’étais faible, perdu entre ma race et le ciel. Pourtant je pouvais marcher, écouter, me concentrer. A une fenêtre je m’arrêtai, observai le ciel quelques instants, des nuages défilaient poussés par le vent. Je les enviais. Subitement un oiseau passa et m’offrit de chauds petits cris. Au même instant, un chat discrètement marchait contre un mur. Son pelage noir taché de blanc me rappela que la vie ici à la manière des sentiments reprenait place.
De mon ami je n’entendis pas un mot après le passage d’un portail aux trois mots maléfiques. Là je le vis à quelques pas, l’observai. Un mal se pressait dans son corps. Il ne tiendra plus longtemps. Ne pleurs pas. Zigzagant entre douleurs et vie il continua, disparu. Cette femme à l’allure légère aussi se perdait. Devant le destin de si nombreuses vies elle ne savait que faire. Tant d’horreur, plus de valeurs. Les instants s’enchaînaient, douloureux et se ressemblant.
Au bout d’un moment nous passâmes devant un drôle d’objet en bois. Rectangulaire il s’élevait vers le ciel. Simple il consistait en deux poutres vielles, grinçantes soutenant une barre de bois elle aussi vieille, grinçante. Au sol de petites planches constituant un plancher étroit. Ici passa le premier mal d’une vie. D’ici la beauté s’était enfuie. Emu, ne pouvant courir je ne pus retenir que larmes et cris.
Face à nous le dernier spectacle de notre passage dans un arrière monde profond. Sous un monticule de terre où l’herbe depuis longtemps avait poussé les valeurs avaient disparu. Plein de courage m’aidant du peu de chaleur resté en moi j’eus la force d’entrer. Là de petites pièces grises, profondes, humides s’étendaient. Horreur tout s’accéléra ! Je passai ! Piégé par la mort je finis par m’arrêter devant une étrange machine. Pressé à l’intérieur l’espoir avait depuis longtemps disparu. Je ne pus m’en détacher qu’après un long instant, un long moment. Je ne voyais plus rien, sortis heureusement. Le soleil violent alors cogna ma peau.
Les secondes passèrent, défilèrent. Mon ami sorti, son visage défiguré. Il s’éloigna des hommes. Ses pieds cognaient plein de haine contre le sol. Je m’approche. Les pleurs reprirent leurs droits. Je le serrai contre moi. Il répondit contre mon épaule. Cria sa colère. Remercions la vie lui dis-je, aimons la, acceptons cette punition. Jamais je ne t’oublierai je le promets. Petit à petit il se détacha, parti, quitta ma vue.
L’objet de mon désir réapparut. Pas un regard nous marchâmes. Pensions nous à tout ça ? Voyait-elle la vie que pour elle j’hébergeais ? Je ne sais pas. Depuis peu j’avais tout oublié déboussolé par de si affreuses visions. Le temps alors encore une fois défila, passa.
Dans une cour que le sang jadis caressa nous écoutâmes la voix de la vie, émouvante mais commençant à faiblir. Elle nous rappela à tous notre devoir. Je n’en pouvais plus, je me retenais contre ce mur que j’aurais aimé voir disparaître. Fin.
Reprenant la route de nos petites tracasseries je parlais avec mon ami, on souriait, s’aimait. Echappé au sort de la malédiction nous reprîmes la route du mal. Cette fois plus diffus, étiré on ne sait où.
Après s’être rassasiés nous arrivâmes alors dans un lieu semblable, similaire dans le fond. Cette fois le terrain était grand, s’étendait vers l’azur. Au moment d’une lutte finale, Elle ; me demanda mes vertus. Ne sachant quoi faire, je lui offris sous les moqueries. Elle partit rassurée, une certaine chaleur dans l’âme et le corps. Pourquoi ? Encore une fois ? Ne pas l’embrasser ? Désormais elle était bien loin un peu réchauffée par mon présent. Malgré l’agressivité de cette nature endolorie je n’avais pas froid. Le souffle de mort ne me touchait pas, ne m’émouvait pas. Le corps et l’esprit ne peuvent retenir tant de souffrances. Les détails affluant, afin de me protéger je n’écoutais plus, ma pensée ailleurs. La poésie aurait pu m’aider, malheureusement elle aussi avait disparu. Seul une réalité nue s’offrait à nos yeux ébahis. De pièces en pièces, après tant de pas nous continuâmes une certaine fatigue dans le corps. Un lacement de l’âme. Le corps toujours capable de supporter marches et courbatures ne voyait pas tout ça, seul l’esprit occupé par son propre mal entrevoyait les Scènes. J’étais seul, mon ami et cette femme avaient disparu. Autour de moi un Univers boueux, souffrant, rétracté à la destinée de nos vies s’étalait pitoyablement, traînant dans lui même. Chère amertume n’oublie pas ceci, ne pleurs pas, je t’en supplie.
Nous finîmes mon ami et moi par parler. Nous rigolions je ne sais pourquoi. Nos pas cognaient un sol mou, nos yeux ne voyaient plus rien. Un désir, une envie : oublier.
Longtemps nous marchâmes, le corps finit par reprendre son emprise. La fatigue vint, seule la souffrance de tant de vies me maintenait debout. Une victime de cette cruauté nous accompagnait. La bestialité de son destin révolu m’effrayait, pourtant je l’admirais.
Nous finîmes par arriver dans un grand bâtiment. Là j’y vus de si nombreux corps, entassés, flétris, méconnaissables. Tous empilés ils essayaient de trouver repos. Ils criaient plein d’effroi, soufflaient une douleur immonde. Je partis.
Le ciel se couvrit, les nuages reprenaient place. Avec mon ami nous continuâmes notre route. De temps à autre cette femme nous rejoignait, j’étais alors entre les deux. Elle portait des bottes, marrons. De jolis motifs dessinés dans le cuir remontaient son tibia, je m’y perdais. Je ne pouvais plus me détacher d’Elle, sa présence me rassurait, me retenait. Toujours le même refrain pourtant encore inconnu quelques heures auparavant. Nous voguions dans un brouillard épais. La foule compacte peu à peu reprenait parole.
Les heures, elles, ici fidèles à leur destin croupissaient, s’ennuyaient. L’illusion de tout ça était depuis longtemps tombée, je distinguais encore plus mal toutes ces formes. Devant nous s’élevait un grand bâtiment, lui aussi gris, ses murs d’une couleur continue, granuleuse. Pas une fenêtre, pas un bout de vie. A l’intérieur une multitude d’images échouées depuis peu dans le méandre du souvenir. Je ne pouvais rester, mon esprit se bloquait, ne pouvait continuer. J’attendis dehors, sous le ciel mon ami à mes cotés. Soudainement un être singulier apparu. Il semblait avoir quitté les siens. Son sourire, sa démarche me rappela mon ancienne vie. Petit, une allure imposant à tous la vie, la voix franche il parla. Ses paroles je ne les entendais pas, absorbé par un gouffre contradictoire, amour et haine je n’entendais rien. Un nom au bord des lèvres, le Sien, une envie au bout des mains ; détruire.
A partir d’ici je me souvins de peu de choses. Notre nouveau compagnon après avoir combattu sa raison nous suivit. Son premier sentiment fut la peur, peur que tous nous connaissons, l’oubli de notre mort.
La foule après cette pénible procession finit par se rassembler au bord d’un petit étang tranquille, connaissant de près la mort. Nous écoutâmes à nouveau de belles paroles mais cette fois ci teintées de joie. La mort de nous s’éloignait, la vieillesse quant à elle à grands pas nous empoignait. Moi ridicule à tous je tournais le dos, en vain j’essayais de rallumer cette flamme respectueuse du souvenir. Après un long silence l’objet de souffrances repartit. Avec un grand soulagement nous reprîmes la route du retour. La nuit nous avait couverts de son voile. Je ne distinguais plus ses beaux yeux.
Nous quittâmes tout ça, un poids sur le cœur j’avais changé, étais transformé. Mon ami assis derrière dormait, sa raison en avait trop vu, le repos s’imposait à elle. Nous n’étions plus que deux l’un à côté de l’autre. Je voulus me réfugier dans les histoires d’un autre siècle, je ne pu, les lumières de toute existence s’étant éteintes. Elle et moi n’avions plus qu’un choix, une alternative : le silence. Elle me regardait, son regard me brûlait, son odeur m’empoignait. Je ne retenais plus rien, tout me quittait. Après une dernière lutte, une dernière souffrance je m’endormis dans la tristesse. Pourrait-elle m’aimer ? La fin de cette vie approchait à grand pas, je ne pu lâcher qu’un dernier cri, un dernier rêve pour ce je cru mes derniers instants.
Un mouvement brusque, une douce pression sur l’épaule, mes yeux s’entrouvrirent. A ma grande déception toujours je vivais. Encore endolori par tant de souffrances je ne pouvais bouger.
Au fond de moi, un grand bonheur s’étendait tranquille, serein. Quoi ?
Elle m’aimait, avait répondu à mon amour durant mon sommeil ! Sur mon épaule elle s’était éteinte, tranquille, sereine. Je pu mourir, ma vie enfin accomplit. J’y jetai un regard rapide, clair. Cela aura en valu la peine pensais-je.
Ma dernière sensation fut sa tête, son bras contre mon épaule, mon bras, nos souffrances apaisées…
Adieu Amour, Adieu Haine, Adieu…
Thomas Debris