dimanche 17 janvier 2016

À la fin de l'Europe


Les eucalyptus pointaient vers le soleil, les racines fermement plantées dans le sol aussi sec que les feuilles grises et longues qui le jonchaient. Le long de la nationale tremblotaient des bâtisses éventrées par le temps et ses intempéries, témoins d'une ère révolue, où l'on quittait la façade atlantique de la péninsule ibérique.

L'empire flamboyant, aux frontières pourtant si vieilles, n'avait pas su être à l'heure du jour, alors ses habitants le laissaient pour d'autres pays, pays où l'on vivait souvent avec une heure d'avance.
Mais même en ces apparences désolées, notre parcours familiale fut pavé de joies et de danses, de vies de bonheur cristallisées au pied de l'autel. Oui, tel était le voyage, régit par les rires des ainés et des jeunes, par les dents de lait, de bagues et de couronnes. Tout dansait, au mitan de la nuit pluvieuse d'été, entre les vins verts et les volumes citronnés de Cachaça. Les rythmes latinos et caribéens épousaient si bien nos pas d'européens, contre toutes attentes. Pourquoi parler quand on peut danser, sourire, se tenir la main et se regarder ?

Les retours de fêtes sont toujours si agréables, on peut y voir les paysages défiler aux éclats de lune et de lampadaires et nous apporter les conseils que la nuit ne nous délivreras pas, trop occupée à nous bercer et à nous border.

Arthur Levassor

vendredi 31 mai 2013

Boots

Les boots encore et encore. Dans Paris, histoire d’une nuit : encore et encore. Orbes étranges et délicates elles vous illuminent ici centre de la vie. Toujours les mêmes, elles n’ont pas changé. Depuis tant d’années elles n’ont pas bougé, pas été porté. Modèle type année 50, couleur marron. Toutes simples elles brillent ici, au fond. Elles ont tout entendu : le bruit de la guerre, le froissement régulier, les fuites de la révolte, les ivresses maladroites. Elles ont frotté, cogné, caressé. Elles ont dégagé, soulevé. Pas un pli et elles se sont arrêtées. Elles ont stoppé leur route et perdues elles s’ennuient. Leur solitude est extrême.  

Au fond, elles ont tout perdu. 

lundi 18 mars 2013

Gloire


On attend la relève et le soir la pénombre arrive à grand pas.
Que pourrais-je dire ? Elle ne vient pas.
J’ai peur des plaies sur le cœur
Et c’est là que tu te trompes : c’est n’est qu’un leurre.
Source belle d’effroi elle aspire ta vie,
Tel le chrétien elle boit tes pleurs et se nourrit de tes cris.
Oui c’est bien toi Jésus le vampire !

Son nom gravé dans le marbre tu le vois ici,
Son souffle froid tu le sens dans les livres et à Paris.
Achille, qu’as-tu choisis ?

Au fond de son regard un gouffre noir et profond.
Seul le funambule ne peut y sombrer : il a étendu son fil tout le long.
Il y danse tranquillement, agilement.

A la fin tu perds ton temps et ton sang : l’orgueil te voile.
C’est que l’échec dans la gorge te brise,
C’est que désormais plus rien tu ne distingues : pas même son ombre


Thomas Debris

jeudi 9 février 2012

Minuit intime

Paris ne s'endort pas. Elle est léthargique. Les macchabées ont soufflé leurs toussotements sur la ville qui se voile avec la neige. Paris n'est pas triste, elle ne vibre plus depuis longtemps, les immeubles ont perdu leurs âmes, devenus infertiles, ils grimacent aux passants n'osant pas répondre. L'hiver s'est infiltré dans nos crâne creusés, des réceptacles sans fond mais pourtant trop remplis. Alors il est temps de penser, s'évanouir tous les soirs pour rêver. c'est l'heure de la baignade, du flottement calme des atmosphères blanchâtres. Mais on pense toujours au soleil qui scintille derrière les nuages, derrière les lieux proscrits, on connait son existence absolue; Se tissent alors les premières chaines, et quand vient le temps, fondantes, elles nous laissent entrevoir sa puissance grandissante.

Arthur Levassor

mercredi 18 janvier 2012

Récit

Des phrases se sont enfilées dans mon esprit: claires/concises. Aujourd'hui elles résonnent désespérément dans ce corps de pierre, hantent ces voutes de granit. Vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière, tu te moques de toi. Leurs noms sont gravés, partout, à même le sol. Elles caressent les murs: doucement/trop près. Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie (,) c'est un tableau pendu dans un sombre musée et quelquefois tu vas le regarder de près. Je n'ai jamais su pourquoi, cela tourne aujourd'hui à la névrose incontrôlée. Je me ronge, me mords et me tords. Mon visage je ne le vois plus, ne le rencontre plus. Mes seuls sourires sont dans le noir ; ils y sont discrets. Ils flirtent les corps, suggèrent une présence, pénètrent profondément. Mais le chant toujours résonne. Il me fait mal, trop mal. Mes yeux je les imagine vitreux, mes gestes je les sens brusques, mes mains je les touche raides. Le chant a tout rendu infidèle, ici dans mon temple. Plus rien ne se cache: tout s'agite.

J'étais cloué, ici, là, dans ce lit. Un petit lit: draps verts/oreiller blanc. Mon corps ne bougeait plus: je suais. Le chant me prenait, encore et toujours. Tout s'enchainait, crissait dans ma tête. J'étais cloué, ici, là, seul bien seul. Une femme un jour est venue. Sa voix me calmait; comme devant tous ces êtres beaux j'avais peur. Elle me parla de révolte, de ne plus accepter ces cliquetis incessants, troublants ; me révolter ?

'Terreur mortelle, regard perdu on ne sait trop où. Comment dire, comment délecter cet instant, le savourer, le haïr. Au fond d'une campagne perdue on vous pendit. Un regard inquisiteur brûlant chaque parcelle, chaque lieu, l'unique espoir, instaurer cet être suprême. Colère, triste et affable colère. Tu tournes en rond, dans cette pièce tu caresses les murs, dans cette pièce tu lorgnes le plafond. Ce souvenir resplendit, mille couleurs, plage de sensations. Ces jours-là le ciel était bleu, ces jours-là le vent était bon. Il frottait tes cheveux, les collait à ton front. Tu espérais; qu'une envie alors. Ne pouvant imaginer la suite tu continuais, ne pouvant imaginer tant de meurtres, d'horreurs sublimes: tu souriais.'

Me vint alors une vision: John Lennon étendu là, à New York devant sa résidence. Une ambulance file droit, son phare caresse les murs, son pinceau blanc balaye doucement la rue dans un va et viens régulier, on ne peut plus régulier. Il est à l'intérieur, ici ou nulle part, le monde alors roule avec cette ambulance. Il ne répond plus, lui: John Lennon. John Lennon fumait comme ses idoles, avait tout appris d'elles. Tous ces gestes calqués sur leurs gestes à elles. «J'ai appris toutes mes émotions d'Elvis» déclara t-il. Tout était répétition. Son Help fébrile, vide il le chantait là, il avait grossi, se droguait. Le cosmos, cette parure tombait et le suffoquait, l'écrasait. Rien à faire car désormais il se meurt avec le monde, sourit une dernière fois. Sa dernière image, une photographie d'hôpital: noire/blanche. On n'y distingue plus son visage. Le silence est entré en lui furtivement. Son chant s'en est allé bien loin.

Aujourd'hui tu marches dans Paris (,) les femmes sont ensanglantées (;)c'était et je voudrais ne pas m'en souvenir (,)c'était au déclin de la beauté...


Thomas Debris

lundi 5 septembre 2011

Souvenir

Il suffit de quelques secondes : le vieux poète s’effondra. On le transporta dans sa chambre. Là il mourut. Que dire ? Sa mort fut saluée.

C’était sur une longue plage, au bord de majestueuses falaises. Elles s’érodaient depuis tant de temps. Tout avait changé depuis sa première venue. Seul le ciel restait bleu, un bel azur de neige bleu.

Le souvenir resplendit jusqu’au dernier instant, jusqu’au dernier moment. Les galets immuables restaient. Gris, ronds ils rappelaient cette joyeuse enfance. Chaque hiver une promenade, chaque hiver un passage nouveau, chaque hiver une peur nouvelle. Jamais vous ne serez oubliés. Les marches étaient longues et difficiles, âpres en un mot.

La peur surgit ! La mer resplendissait. D’un gris bleu rien n’apparaissait. Défiguré par l’ombre solaire elle vieillissait, se ridait tout au long de la journée, recouvrant de voiles sombres chaque rêve. Les étreintes étaient ici possibles.

Thomas Debris


Echec

Les cheveux au vent, la pensée dans le vague. Il s'avance ici, dans cette plaine désertique : il fait nuit. Il pleut, l'orage éclate, la terre se volatise. Il ne regarde pas le ciel, juste devant lui. Il observe ces rides d'une nuit, la rage monte en lui. Il s'est trompé, a échoué. Mille couleurs dans le cœur il a parlé, mais n'a pas été écouté. Ces rêves se sont enfuis et là, bien loin de chez lui il marche paisiblement, tranquillement. C'était et il voudrait l'oublier, c'était à la fin de sa vie. Il repense une dernière fois, la croupe au loin à ceci : il ne peut que sourire.

Thomas Debris